C.N.R.S.
 
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     MALHEUREUX     
FEW XXV augurium
MALHEUREUX, adj.
[T-L : malëuros ; GD : maleuros ; GDC : malheureux ; AND : maleurus ; DÉCT : malëuros ; FEW XXV, 890a : augurium ; TLF : XI, 257a : malheureux]

A. -

[D'une pers.]

 

1.

"Accablé de malheur, infortuné (et digne de commisération), malheureux" : N'il n'est homme, a mon essient, Que quant il est impacient, Qui ne vosist avoir fait change De son estat a un estrange ; Et ce le fait maleüreus Et vivre en estat perilleus. Aussi ne dois tu la puissance De Fortune, ne sa muance En ton cuer amer ne prisier, Mais haïr, fuïr, desprisier, Ne tels biens ne desire en toy. (MACH., R. Fort., c.1341, 91). LE MARI. (...) Je croy qu'il ne soit homs en vie Plus maleüreux que je sui. (Mir. enf. ress., 1353, 57). Si que je me porrai clamer Des hommes le plus dolereus Et le tresplus maleüreus, Qu'onques mais ne fui sans Amour Qu'elle en moy ne feÿst demour (MACH., Voir, 1364, 662). Ha ! dame du hault firmament, Maleureuse est la personne Qui a vous servir ne s'adonne, Et de bonne heure est celle née Qui mect en vous cuer et pensée (Mir. femme, 1368, 182). Donques, se nous disons que la felicité de celui qui est bien mort est variee ou muee par teles transmutacions, il s'ensuit inconvenient, car il seroit aucune fois beneuré et aprés autre fois maleureus et mescheant. (ORESME, E.A., c.1370, 132). Et, en quelconques maniere ses enfanz portent ces fais, le pere si sera maleureus (FOUL., Policrat., IV, 1372, 80). Se je me pleing, je n'en puis mais, Qu'onques nuls si mal eüreus Ne fu ne ne sera ja mais Com je sui, ne si doleureus ; Car (...) Ma dame m'a congié donné. (MACH., Bal., 1377, 549). Helas ! dolens, maleüreus, chetis, Je l'aim trop miex que tout le remenant De ce monde, et se la serf et pris, Doubte et desir de fin cuer humblement. (MACH., L. dames, 1377, 106). Car je me doubt que s'onneur descreüe Ne soit pour moy ; et pour ce en grant dolour Li cuers me tramble et la char me tressue, Si que j'en pers ma force et ma vigour. Tant sui chetis, las et maleüreus, Dolens de cuer et pleins de desconfort, Que, par m'ame, mes cuers n'est convoiteus De nulle riens, fors que d'avoir la mort (MACH., L. dames, 1377, 107). Par beauté de mainte mouillier Sont pluseurs mors et esbahis, Povres, maleureus et hais, Reprouchés, destruis et desers: Il vauldroit mieulx vivre es desers Qu'avoir tel vie, et rungier herbes (DESCH., M.M., c.1385-1403, 198). Lors [Remondin] s'avisa a lui mesmes et dist : Messire, qui la gist mort, me dist, se telle adventure [tuer son seigneur] m'avenoit, que je seroie ly plus honnourez de mon lignaige. Mais je voy bien tout le contraire, car je seray ly plus maleureux et ly plus deshonnourez, et certes c'est bien droit. Non contrestant, puis qu'il ne peut autrement estre, je partiray de ces marches et m'en yray querir adventure en lieu ou je pourray esperir mon pechié, s'il plaist a Dieu. (ARRAS, c.1392-1393, 22). LA SECONDE DAME. He ! treschiere dame [Griseldis], achoison Avons de grant dueil demener, Quant ensi vous veons mener En si dolante compaignie. Bien maleureuse est qui se fie En noblece si pou estable. (Gris., 1395, 84). ...se aucun meschief du corps ou de son honneur l'en advenoit, ce que Dieu ne veulle, lasse ! Doulente, maleureuse, jamais mon cuer n'avroit joye (LA SALE, J.S., 1456, 150). ...vous estes donc bien fort maleureux, qui avez chacun femme qui ainsi vous reprend d'aller a la taverne (C.N.N., c.1456-1467, 542). Ha ! pouvre maleureux veillart, tel que je suis et tousjours ay esté, de qui la fortune et destinée sont dures (C.N.N., c.1456-1467, 555). Je suis la mere maleureuse ; Plus non ay enfant ne marit. (Pass. Auv., 1477, 130). LE .II. SERGENT. (...) Il n'y a sergens en la ronde Plus malheureux, brief, que nous sommes. Allons gaigner. LE .I. SERGENT. Entre les hommes Nous sommes malheureux tous deux ; Mais, quant a moy, je suis piteux En mon office. (Mir. st Nic. juif, c.1480-1500, 100). LE GREFFIER. (...) Par courtoisie, [le chrétien] est malheureux. Helas, or il est mort parjure ! (Mir. st Nic. juif, c.1480-1500, 143). Remembre toy de tes pofvres esclaves, Serfs et espaves, ou cent fois pis qu'en caves Mis aux entraves, maleureux a toujours Piteusement ilz fineront leurs jours ! (LA VIGNE, V.N., p.1495, 131).

 

-

Empl. subst. : Après ce Cruautez respont Qui son parler point ne repont, Einsois se debat et raisonne Si que tous les autres estonne, Et dit qu'onques ne fu veüe Tel merveille n'aperceüe Com dou chetif maleüreus Qui par son cuidier est si preus Qu'il cuide la joie emporter Que nuls ne porroit raporter (MACH., D. verg., a.1340, 41). Et pour ce dit l'en en proverbe que les beneurés et les maleureus ne different en rien par la moitié de leur vie. (ORESME, E.A., c.1370, 142). Aveugle Fortune, dure, sure et amere, bien m'as mis du hault siege de ta roe ou plus bas et ou plus boueux et ort lieu de ta maison ou Jupiter abeure les laz, chetifs, doulereux et maleureux. (ARRAS, c.1392-1393, 243). ...les gens eüreux Desprisent les maleüreux (CHR. PIZ., M.F., I, 1400-1403, 86). Espoir, confort des malheureux, Tu m'estourdis trop les oreilles (CH. D'ORLÉANS, Rond. C., 1443-1460, 460). Or suis je homme deffait et deshonoré : prestre, clerc, et maryé ! Je croy que je suis le premier maleureux de cest estat. (C.N.N., c.1456-1467, 287). Le pouvre maleureux se laissa lyer par ses deux ennemis sur ung bancq (C.N.N., c.1456-1467, 495). LA FEMME. Quant on jeue, Au malheureux le vire t on ? LE CRESTIEN. Craintifz n'auront jamais bien. (Mir. st Nic. juif, c.1480-1500, 84). MATHATIEL. Le povre malheureux [le chrétien] est mort Et voit on a l'oeil la fiance Et congnoissance de son tort, Sainct Nicolas, vraye esperance. (Mir. st Nic. juif, c.1480-1500, 143). Sire, pour les grans graces qui vous sont faictes, faictez moy grace et à mes povres enfans, ne souffrez que pour mes pechiés je meure à honte et confusion ne qu'ilz vivent en deshonneur et au pain querant. Et, si avez eu amour à ma femme, plaise vous avoir pitié du povre et malheureux mary et orpheins. (LE CLERC, Interp. Roye, c.1502, 369).

 

-

[P. affaiblissement]

 

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"Malchanceux" : LE LARRON. (...) En ce destour me bouteray Et les passans espieray Tant qu'aucun maleureux venra Qui touz mes despens paiera D'un mois et plus. (Mir. march. larr., c.1349, 100). Il n'est engendrement qu'en boing Ne bon bruit que d'homme benny Ne riz qu'aprés ung cop de poing Ne lotz que debtes mectre en ny Ne vraye amour qu'en flaterye N'encontre que de maleureux Ne vray rapport que menterye Ne bien conseillé qu'amoureux. (VILLON, Poèmes variés R.H., c.1456-1463, 56).

 

.

[Pour marquer la commisération (en partic. pour soi-même)] : Dolente chetive maleüreuse, que pourray je faire ne devenir, quant en ceste forest me convient estre sanz nul confort ? (Bérinus, I, c.1350-1370, 275). LA DAME. (...) Lasse ! Lasse ! Maleüreuse ! Lasse ! Chetive, dolereuse ! (Mir. enf. ress., 1353, 32). Lasse, lasse, maleureuse et dolente ! (DESCH., Art dictier R., 1392, 277). Comment il s'en va, le maleureulx, Sans estre pris a la boucaille ! (Pipée R., c.1470-1480, 205). Que farey je, las, maleureux, Sur tous pecheurs le plus vicieux ? Jamaiz ne fusse je esté né ! (Pass. Auv., 1477, 206).

 

-

[P. oxymore] : Fortune est amour haïneuse, Bonneürté maleüreuse ; C'est largesse advaricieuse ; C'est orphenté ; C'est santé triste et dolereuse ; C'est richesse la soufferteuse ; C'est noblesse povre, honteuse (MACH., R. Fort., c.1341, 41).

 

-

[Du monde] : Adieu, adieu, doulce chevance ! Nous avons de vous souvenence En ce monde si mallereux. (Pass. Auv., 1477, 104).

 

-

[Avec une formule de renforcement] Maleureux par deux elles. "Extrêmement malheureux" : Je suis malheureux par deux elles (Myst. jeune fille L., c.1413-1445 [c.1530], 27).

 

Rem. Semble signifier que le malheur est si profond qu'il faudrait l'écrire avec deux l. Cf. DESCH., Oeuvres Q., t.6, c.1370-1407, 222 : Maleureux suis par toute lettre.

 

2.

"Mauvais, méchant, misérable" : Vous, fils d'Envie Et fils du grant Tenebrifer, Le maleureus prince d'enfer, Aies memoire et bien penses Quë a juste cause pendes Par les yex qui onques maintien N'eurent a vëoir aucun bien ! (GUILL. DIGULL., Pèler. âme S., c.1355-1358, 153). Or ça, maleureuse gent, Qui tant en Jhesu vous fiez, S'a noz diex ne sacrefiez, Les testes vous copperay cy (Mir. st Panth., 1364, 365). Et pource que cité ne est pas communité de gens abhominables, malvés et maleureus, il s'ensuit que en cité est neccessaire la cognoissance de Dieu, laquele ne peut estre sans aucun cultivement divin, qui est en Dieu creindre, amer et honorer. (ORESME, Pol. Arist. M., c.1372-1374, 303). Par ma foy, maleureus sommes, Touz clercs, quant nous nous marions Et qu'en chasteté ne vivons (DESCH., M.M., c.1385-1403, 98). On prant femme communement Pour avoir hoirs, et c'est raison, Et pour gouverner sa maison Et les choses qui s'y affierent : Maleureux sont ceuls qui se fierent A leurs femmes, comme les bestes, Par nulles voies deshonnestes (DESCH., M.M., c.1385-1403, 177). COMPLAINTE Contre toy, Mort doloreuse et despite, Angoisseuse, maleureuse, maudite, Et en tes fais merveilleuse et soudaine (CHART., Compl., 1424, 321). Et, sire, ainsi va de mon estat, car, depuis ung temps en ça, n'en fut ung plus maleureux ne felon que j'ay esté à tous chevaliers, dammes et damoiselles (Cleriadus Z., c.1440-1444, 173). Bien vous gardaré de y toucher, Dyables maulvais et maleureux ! (Pass. Auv., 1477, 112). De grant malice estes remply, Juïfz, maleureuses gens ! (Pass. Auv., 1477, 232). Mon filz en est en croix cloué, Mort et tüé, Pour ton peché, maleureux homme [Adam] ! Il en a sa vie donné, Tout rebroué, Pour le plaisir que pris en pomme. (Pass. Auv., 1477, 246).

 

Rem. Cf. The Baptism and Temptation of Christ, éd. J. R. Elliott et G. A. Runnalls, c.1500, 66 : Pecheurs mauvaix et malereux.

 

-

"Misérable" : ...maleureuse, dist la mere, comment l'avez vous refusé ? (C.N.N., c.1456-1467, 500).

B. -

[D'une action, d'un fait...]

 

1.

"Qui est source de malheur, dont les conséquences sont fâcheuses, voire funestes" : ...com maleureuse venue Et com maleureuse journée Nous est au jour d'uy adjournée ! (Mir. enf. diable, c.1339, 49). ...comme la naissance de Berinus fut maleüreuse et comment il fut nez en forte constellacion, car en toute sa vie il ne fut a paix ne asseür un seul jour (Bérinus, I, c.1350-1370, 390). Ceste bataille maleureuse .XVIIIe. fu doulereuse, Car des occis y ot grant compte (CHR. PIZ., M.F., III, 1400-1403, 1438). ...le fait de la maleureuse bataille d'Agincourt, dont nous avons chier comparé et encore plaignons la douloureux infortune et emportons sur nous toute celle malle mescheance (CHART., Q. inv., 1422, 35). Maleureuse et trop pesant est la couronne aux roys, qui pour elle s'endorment en vaine gloire et s'enyvrent d'oultrecuidance, quant, en descongnoissant leur humanité, usurpent l'onneur divin, et pour la cremeur qu'ilz tiennent par force sur leurs subgietz, oblient la crainte qu'ilz doivent a Dieu par rayson. (CHART., L. Esp., c.1429-1430, 41). ...quant Hanibal fust vaincu par mer de Diulius, le consulle, il eschiva par astuce et subtillité la payne qu'il crenioit a recevoir pour la perte de sa desconffiture. Car, ainchoiz que les nouvelles en venissent a Cartaige de celle maleureuse battaille, il envoya a ung scien ami a Cartaige (LA SALE, Salade, c.1442-1444, 33). ...il aymeroit autant ou plus cher morir que son maleureux cas fust cogneu. (C.N.N., c.1456-1467, 94). Quand il eut esté environ cinq ou VJ jours en ceste hostelerie, luy survint par accident une maleureuse adventure. (C.N.N., c.1456-1467, 502). Cependant qu'il tenoit ce siège malheureux pour luy et pour tous ses subgectz et pour plusieurs autres à qui la querelle ne touchoit en riens, commencèrent plusieurs des siens à pratiquer (COMM., II, 1489-1491, 136).

 

2.

"Déplorable, malheureux" : Et pour ce, mon ami, que les amoureux telz que je dy sont par telles vertus sauvez, habandonnent ce tresvil et maleureux pechié de paresse pour eulx acompaignier avec la tres resplendissant vertu de diligence, vous prie que soiez de ceulz (LA SALE, J.S., 1456, 25). Et encores estoit bruit tout notoire, que quant aucuns des mariz desdittez femmes et peres et meres desdittes filles deffendoient à leurs filles de non le hanter, il y trouvoit moyen, pour acomplir sa puante luxure et sans y garder ordre de droit, de les mener en lieu propre où les peres et meres et les mariz des femmes le povoient veoir acomplir son maleureux peché. (LE CLERC, Interp. Roye, c.1502, 196).
 

DMF 2020 - Synthèse Robert Martin

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