C.N.R.S.
 
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     RAGE     
FEW X rabies
RAGE, subst. fém.
[T-L : rage ; GDC : rage ; DÉCT : rage ; FEW X, 8b : rabies ; TLF : XIV, 270a : rage]

A. -

"Rage (maladie)" : Nous vëons un chien qui enrage, De quel cause li vient la rage ? D'un ver qui la langue li perse. Or est la cause si desperse Qu'il pert le boire et le mengier, Et puis le couvient enragier. (MACH., J. R. Nav., 1349, 228). Chienz ont moult de diverses maladies, et la plus grant, c'est la rage, de quoy il y en a de neuf manieres, des quelles j'en diray une partie. (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 112). L'autre rage s'apelle rage mue, et ne courent ne mordent, mais ilz ne vuelent mengier et ont un petit la guele ouverte, comme s'ilz avoient un os en la guele, et se debavent, et einsi muerent dedanz le terme dessus dit sanz fere autre mal. (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 114). L'autre rage si s'apelle la rage cheante, pour ce que, quant ilz cuident aler avant, ilz cheent, donc d'unne part, donc d'unne autre, et einsi meurent dedanz le dit terme. (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 115). L'autre maniere de rage s'apelle la rage efflanchee, quar ilz sont cousuz parmi les flans, comme s'ilz n'avoient mengié, et poussent des flans et batent grief et ne vuelent mengier et tiennent la teste basse et le regart bas. (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 115). L'autre rage si s'apelle rage endormie, pour ce qu'ilz sont touz jours couchiez et font semblant de dormir, et einsi muerent sanz mengier. (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 115). Quant on craint que son chien ne soit mors de chien enragié, faittes le mengier et boire parmi un trepié, et il sera ce jour asseuré de la rage (Ev. Quen., I, c.1466-1474, 94). Cy gist et dort Loÿs, filz de Loÿs De Monfalcon, lequel en son jeune eage, Par ung seul mors d'ung chien infect de rage, Fina ses jours, tristes, comme l'ouÿs. (ANTITUS, Poés. P., c.1500, 62).

 

Rem. HENRI FERR., Modus et Ratio T., c.1354-1377, gloss.

 

-

Rage rouge. "Rage forcenée"

 

Rem. MOLINET, Faictz Dictz D., 1467-1506, gloss.

 

-

Rage de teste. "Rage caractérisée par la tête enflée" : L'autre maniere de rage s'apelle rage de teste, combien que toutes les rages soient de folie de teste et de chaleur de cuer, pour ce que la teste leur devient grosse et enflee et les yeux gros et enflez et ne menjuent point, et einsi muerent. (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 115). En ceste dicte année mil IIIIc quatre vingtz et deux, de ladicte maladie de fievre et raige de teste moururent en divers lieux moult de notables et grans personnaiges, tant hommes que femmes. (ROYE, Chron. scand., II, 1460-1483, 113).

 

-

[Dans une formule d'imprécation] : Sa, dame, sa, qu'a male rage Puissez morir et a tourment ! (Mir. Berthe, c.1373, 175). Oÿ, ma mere fut peu sage De m'avoir tant amygnoté ; Pleust a Dieu que de malle rage En son corps je fusse avorté ! (LA VIGNE, S.M., 1496, 320). Tantost je le feray perir En despit de son faulx langaige. Tien ! Laurens. De senglante rage Puisse tu ennuyt enrager ! (Myst. st Laur. S.W., 1499, 226).

 

-

Prov. : Qui son chien veult tuer lui met la rage Assus (CHR. PIZ., Cent ball. amant dame C., c.1409-1410, 125). ...tant est affection humaine vaine chose et muable, quant celle desloiale voye a mise Fortune en ses variables oeuvres, que, des ce qu'il meschiet aux chetiz, on leur met sus que c'est par leurs dessertes, comme cellui qui son chien veult tuer et pour couleur de son fait lui met sus la rage (CHART., Q. inv., 1422, 37).

 

.

[P. allus. à ce prov.] Mettre sus la rage à qqn. "Accuser qqn de la rage pour le mettre à mort" : Nous en serons brefment delivre, Qui m'en croira ; mais monseigneur, Vous sçavez qu'i nous fault couleur, Et luy mectre sus rage aucune. (Myst. Pass. Troyes B., a.1482, 608).

B. -

P. ext. [Idée de violence]

 

1.

[Marquant la violence de ce que l'on éprouve]

 

a)

[La violence d'une douleur, d'un mal physique]

 

-

[À propos d'un mal de dents] : En nom Dieu, la rage qui prent Es dens ne puit des siens partir, (...) Tant qu'il nous ait rendu a plain Ce qu'il nous tolt. (Mir. prev., 1352, 241).

 

Rem. FROISS., Chron. R., IX, c.1375-1400, 281.

 

.

Rage de dents : Doleur de chief et mal de trenchoisons, Rage de dens, angoisse de froidure, Fievres tierces, quartes ne menoisons Apostumes, clouz, boces, enfonture Ne mal des yex, qui clarté fait obscure, Tout ce n'est que soulas, à droit jugier, Envers soussi de povre mesnagier. (MACH., App., 1377, 645). C'est grant doleur que d'estre en maladie, D'avoir les fievres, froidures ou frissons, Rage de dens et mal d'espidemie, Estre batu souvent de gros bastons, Avoir gravelle et mal de trenchoisons, Si n'est il mal tel, à mon jugement, Com le meschief que d'avoir pou d'argent. (MACH., App., 1377, 646).

 

-

[À propos de la fièvre] "Accès violent" : Sçavoir debvez qu'incontinant Que fustes en vostre voyage, Tel mal fut si soubdain prenant Vostre novice et telle rage De fievres que cueur et courage Luy faillit, gisant la tout quoy. (LA VIGNE, S.M., 1496, 380).

 

b)

[La violence d'une sensation, surtout la faim] : SATHAN. Dyables, venez tost, je vous prie, Car de fine rage j'affame. (Mir. st Nic. juif, c.1480-1500, 145).

 

-

Rage de faim : Si orent consel et lor sambla que il valloit mieuls euls mettre en la volenté dou roi d'Engleterre, se plus grant merchi n'i pooient trouver, que euls laissier morir l'un apriés l'autre par destrece de famine, car li pluiseur en poroient perdre corps et ame par rage de fain. (FROISS., Chron. D., p.1400, 835). ...fu si tres grant famine que les gens estoient contrains par rage de fain de eulx avaler par nuit a cordes jus des murs de la ville et eulx aler rendre aux Turcs (Bouciquaut L., 1406-1409, 152). Et entre autres vindrent et arriverent ausdiz vivres plusieurs liffreloffres Calabriens et Suisses, qui avoient telle rage de fain aux dens qu'ilz prenoient frommages sans peler et mordoient à mesmes, et puis buvoient de grans et merveilleux traiz en beaux pos de terre ; et Dieu scet en quelz nopces ilz estoient, mais ilz ne leur estoient pas franches, pour ce qu'ilz paioient bien leur escot. (ROYE, Chron. scand., I, 1460-1483, 124).

 

.

Crier à la rage de faim. "Crier famine" : Notez se une povre femme grosse, malade, honteuse, a VI petiz enfans, estoit en la froidure, et n'eust pain pour donner a ses enfans qui criroint a la rage de fain, et une noble et riche dame la veoit, elle seroit trop dure s'elle ne luy donnoit du pain, et tant plus s'elle luy ostoit. (GERS., Annonc., a.1400, 239).

 

-

Rage de soif

 

Rem. Myst. process. Lille K., t.3, a.1485, 39/188.

 

-

Loc. fig. Avoir si faim que rage. "Éprouver un désir violent" : L'EVESQUE. Sus, enffans, veillez vous haster De luy monstrer son becjaulnaige ! SECOND TIRANT. Je le veulx en chien appointer. TIERS TIRANT. De frapper ay si fain que raige ! (Pause. Ilz le batent.) (LA VIGNE, S.M., 1496, 343).

 

c)

[La violence d'un désir, d'un sentiment] : C'est d'un moine qui doit venir Chiez la femme d'un laboureur, (...) pour briser le mariage : Chascun a la culaine rage (Mir. emp. Julien, 1351, 184). Chiens se doyvent en tous lieux porchacier, La levriere bien garder se devoit ; Mais s'elle volt nouviaux chiens acointier, Et que du sien pas ne li suffisoit Pour la rage du gest où elle estoit, On li deüst le cul avoir bruï ; C'est sa faute ; si m'est avis par droit, Qu'an riens n'y ont les chiens mort desservi. (MACH., App., 1377, 649). Et s'elle vuet vers moy estre si dure Que d'un regart ne me vueille enrichir, À tout le meins la tres grief mort obscure, Que j'ay pour li, deingne penre en plaisir. Et se c'est trop de tel don requerir, Rage d'amours le fait qui m'a outré. Et malades, quoy qu'il soit, de senté, Prent volentiers ce dont il ha desir. (MACH., L. dames, 1377, 61). Auxi avient souvent que le mari par le mauvés gouvernement de sa femme et de son amy s'en apperceit, dont il entre en la rage de jalousie et sy commence a la batre. (Quinze joies mar. R., c.1390-1410, 79). ...son tresennuyé pere destort ses mains, ses cheveulx detire par la grand rage de ce nouvel courroux. (C.N.N., c.1456-1467, 32). Son voisin, qui maryé estoit et avoit une tresbelle femme, se bouta en la doulce rage de jalousie. (C.N.N., c.1456-1467, 331).

 

d)

"Violente douleur morale, souffrance" : Dydo, roïne de Cartage, Ot si grant dueil et si grant rage Pour l'amour qu'elle ot a Enée Qui li avoit sa foy donnée Qu'a mouillier l'aroit et a femme ; Et li faus l'appelloit sa dame, Son cuer, s'amour, et sa deesse (MACH., J. R. Nav., 1349, 209). LE DYABLE. Haro ! que j'ay le ventre plain De dueil et de sanglante rage Quant je ne puis en mon servage Mettre la femme du marquis ! (Mir. marq. Gaudine, 1350, 131). LA DAME. (...) La douleur, que sa mort sentir Me fait, m'est grief tourment et rage. (Mir. enf. ress., 1353, 37). LA DAME. (...) Ha ! Mon bon seigneur, quant ce fait Sarez, au cuer arez grant rage. Certes vostre pelerinage A grant douleur vous tournera, Mais encore vous doublera La douleur, quant vous orrez dire La mort amere et le martire Qu'a souffrir pour ce fait attens (Mir. enf. ress., 1353, 41). Lasse ! com dure destinée Ay par toy, Fortune sauvage ! Car en grant douleur et en rage Me convient dès ores mais vivre (Mir. st Sev., 1362, 197). N'il n'est nuls, belle bonne et sage, En qui hommage Sui en servage À heritage, Qu'estre n'amast miex mors que vis Que languir en si dure rage Qui n'assouage ; Car elle esrage De moy scens, pouoir et avis. (MACH., Les lays, 1377, 285). ...la rage qui m'estraint Pour ma dame que j'aour. (MACH., Les lays, 1377, 374). ...La grant biauté, la douceur fine De celle qui n'a de li cure, Dont li venroit envoiseüre, Que elle aimme un autre que li ? Je ne me tien pas a celi, Qu'il a tant de dueil et de rage Que c'est merveille qu'il n'enrage, Ou qu'il ne se tue ou se pent, Ou que d'amer ne se repent (MACH., Prol., c.1377, 8). ...Tant que je soie respité Du tourment de ce mariage Temporel, qui n'est fors que rage, Doleur de cuer, du corps exil Et de l'ame trop grant peril (DESCH., M.M., c.1385-1403, 273). Se Dieu me gart de malle rage... (Myst. st Clément Metz D., p.1439, 338).

 

-

Demeurer en doleur et en rage : Comment puet estre vrais amis Amans tristez et desconfis, Merencolieus et pensis, Qui dist que demeure toudis En doleur et en rage ! À son mal est si ententis Qu'il entroublie le cler vis, Par qui il est en ce point mis, Si qu'il vorroit estre banis De l'amoureus servage. (MACH., Les lays, 1377, 454).

 

-

Faire rage à qqn : Amis tres dous, tu t'en iras (...) Mais mon fin cuer en porteras Et mon ymage En quoy tu te conforteras Et ou tu te deliteras, Quant de desir pressez seras, Qui maint outrage Fait aus amans et mainte rage, Si que ja pour païs sauvage, N'ossi pour estrange langage N'oublieras Venus qui tous maus assouage Ne moy qui t'aim de vray corage (MACH., F. am., c.1361, 223).

 

2.

En partic.

 

a)

"Violente colère, fureur" : Il sailly sus moult vigueureusement puis s'en vint vers Aigres, espris d'ire et de rage, et eut grant esperance de lui vengier (Bérinus, I, c.1350-1370, 289). Quant Phebus oÿ la nouvelle Du corbel qui dist que la belle Qu'il aime de fin cuer entier Le laist pour un autre accointier, De son chief cheÿ sa couronne, Et sa harpe qui souef sonne De ses mains cheï a ses piés. (...) Phebus trop forment se tourmente, Trop se complaint, trop se demente, Trop ha de mal et de dolour. En sa rage et en sa furour D'aventure la belle vid (...). L'arc prist, la fleche mist en coche Et si roidement la descoche C'a Coronis l'a traite ou pis Pour ce qu'il estoit acoupis. (MACH., Voir, 1364, 700). A pou qu'il mesmes ne s'occist, Tant ha grant douleur et grant rage (CHR. PIZ., M.F., III, 1400-1403, 234). Mon veul cuydes faire muer, Mais encore ce [r]ain de rage Ne changera ja mon couraige Pour ceste persecucion De la terrible occision Qui de par nous est commencee. (Myst. Pass. Troyes B., a.1482, 366). Raige m'occit, ou s'en fault peu ; Peu s'en fault que je ne me desvye (Myst. st Laur. S.W., 1499, 230).

 

-

Plein de rage : L'andemain, devant son mari Vint li pueples a cuer mari Et li doi prestre plein d'outrage, D'inique pensee et de rage, Pour mettre Susanne a la mort Sans conscience et sans remort. (MACH., C. ami, 1357, 8). Si s'en ala a grant eslais Droit devant le triste palais D'enfer ou mainte ame dolente Pleure, souspire et se demente. A l'entree de ce passage Trois dames ot, pleinnes de rage, Et s'estoient si grans maistresses Qu'elles s'appelloient deesses, L'une d'orgueil, l'autre d'envie, L'autre de toute tricherie. La leurs crins serpentins pingnoient (MACH., C. ami, 1357, 82).

 

-

Avoir la rage au coeur. "Être forcené, fou de colère" : Tay toy ! tu aiez au cueur la raige ! (Pass. Semur D.M., c.1420 [1488], 102).

 

b)

"Fureur, folie furieuse" : ...Compaingnie, Amour, Biauté et Juenesse la lie, Et Loiauté, qu'oublier ne vueil mie, En grant folie, En rage, en dueil et en forcenerie Le font languir, et en grant jalousie, Et en peril de l'ame et de la vie. Car main et tart Son dolent cuer de sa dame ne part, Eins la compaingne en tous lieus sans depart (MACH., J. R. Beh., c.1340, 122). Lors se treï courtoisement Vers moy pour savoir de mon estre, Et si me prist par la main destre De la sienne, blanche et polie, Pour mieus savoir ma maladie ; Si senti mon pous et ma veinne Qui estoit foible, mate et veinne. Mais sa main n'ostoit a nul fuer De la veinne qui vient dou cuer, Car bien savoit, la bonne et sage, Que dou cuer me venoit la rage Qui si griefment me demenoit, Et que d'ailleurs ne me venoit. (MACH., R. Fort., c.1341, 57). Je qui avoie ou corps la rage Le feu dedens le lit boutay, Et mon seigneur hors en sachay, Si laissay ma cousine ardoir. (Mir. femme roy Port., c.1342, 191). Li rois commanda qu'on les aille Tantost querre, et on li ameinne, Si leur dist : "Quel rage vous meinne A faire contre m'ordenence, Qu'onneur faire ne reverence Ne daingniez a l'image d'or ?..." (MACH., C. ami, 1357, 20). ...nuls ne puet penser si grief damage Com le refus que ses durs cuers m'envoie ; Et si l'aim plus, se Diex m'en envoit joie, Que riens qui soit. Dont n'est ce droite rage ? Certes, oïl ; mais, pour riens que je voie, De ce peril issir je ne voudroie, Car tous siens sui sans changement de gage, Quant esperer me fait ma garison (MACH., Motés, 1377, 491). ...qu'est ce que me dites, sire ? Vous voulez que je mal vous rende Pour bien, qui voulez que vous vende. Je seroye bien plain de rage Se vous faisoie tel oultrage. (Mir. Pierre Changeur, c.1378, 267). Jaicter les fist, par grant laydure, Aux chiens et aux oiseauls saulvages. Ainssy, le traitre plain de rages Fist mourir le filz et la mere (CHR. PIZ., M.F., IV, 1400-1403, 67).

 

-

Par rage. "Dans un mouvement de fureur" : Mais, aussitost qu'a sa char nue La chemise ot un pou tenue, Le venin par son corps s'esprent (...). Derompre la cuide, par rage, Mais, avec la chemise, esrache Sa char (CHR. PIZ., M.F., III, 1400-1403, 24).

 

-

C'est forsen et rage de + inf. : Mais un vaut vint et un vaut cent Qui hardiement se deffent, Especiaument en ce cas. Car qui deffent de haut en bas Il a des C. pars l'avantage. Ne ce n'est que forsen et rage D'assaillir encontre ces murs, Qui sont haus, larges et seürs. (MACH., P. Alex., p.1369, 103).

 

3.

[La violence d'une chose]

 

-

Rage du feu. "Violence de l'incendie" : ...plusieurs saillirent en la mer de la rage du feu qu'ilz sentoient (Chron. Valois L., c.1377-1397, 234).

 

-

Rage de mer. "Violence de la mer" : Quiconquez demener vouldroit Vië ordonnee et honneste, Et Fortune regarderoit, Qui oncquez en ung lieu n'arreste, Rage de mer ne doubteroit, Undes volans ne sa tempeste (Böece Conf. reman. C., c.1400-1500, 37).

C. -

P. anal. [Idée d'une chose qui sort des bornes ordinaires]

 

1.

"Chose extraordinaire (en bien ou en mal)" : Quand elle fut montée, les gorgias se misrent devant, qui faisoient fringuer leurs chevaulx, et estoit rage qu'ilz faisoient bien et hault. (C.N.N., c.1456-1467, 313).

 

-

C'est rage. "C'est extraordinaire" : [il] semble qu'il doit tout abatre, et menace sa femme de la tant batre que c'est rage, dont elle n'a gueres grand paour. (C.N.N., c.1456-1467, 28). ...avoit ung jeune et bel religieux qui devint amoureux, si fort que c'estoit rage, d'une nonnain sa voisine (C.N.N., c.1456-1467, 105). O, qu'il est bon [ce breuvage], par Dieu ; c'est rage ! Taste, Janus ; n'est yl pas doulx ? (Pass. Auv., 1477, 222). LUCIFER. (...) As tu fait ung nouvel ouvraige Digne de memoire ? SATHAN. C'est rage. Du beau brassin que j'ay brassé, Avant qu'il soit ung moys passé, Vous en orrés bel exemplaire. (Myst. Pass. Troyes B., a.1482, 969).

 

Rem. Livre Regnart S.-H., c.1460, 34.

 

.

C'est droite rage : Qui les veïst troter et courre, Herbe aporter, tapis escourre, Braire, crier et ramonner Et l'un a l'autre araisonner, François, breton et alemant, Lombart, anglois, oc et norment Et meint autre divers langage, C'estoit a oïr droite rage. (MACH., R. Fort., c.1341, 144).

 

-

Voici/voilà rage. "C'est extraordinaire" : Vecy grand rage de cest homme. (Myst. st Clément Metz D., p.1439, 201). [ussi v.8523] Par Dieu, vela raige dyanne [l. dienne ?], Regarde dessoubz ceste manne Je croy que ce soit ung diolle. (Feste roys, c.1475-1500, 305).

 

.

[Marquant l'irritation, la contrariété] : Resveille qui dort ! Voycy raige Je ne voy pas l'ung de mes gens. (Myst. jeune fille L., c.1413-1445 [c.1530], 9). Heé morbieu ! et vecy [bien] rage. Avez vous paour aler avant ? Par vostre foys, allés de grant, Et me laissés a l'aventure. (Myst. st Bern. Menth. L., c.1450, 43). Haro ! vecy pis que la raige, S'il est vray tout ce que tu dis. (Myst. st Adr. P., c.1450-1485, 25).

 

2.

Dire/conter rage. "Dire des choses extraordinaires" : Et puis qui bien fait a cremir, Ses disciples verrez venir, Avec eulx bigos, papelars, Dehors aignaux dedans renars, Qui ces fais cy notifiront Et de Jhesus rage diront (MARCADÉ, Myst. Pass. Arras R., a.1440, 221). Vous nous avez rage compté, Oncques mais tel chose ne fu S'ainsi est qu'il soit advenu (MARCADÉ, Myst. Pass. Arras R., a.1440, 258). MATHATIEL. (...) Cent escus d'or sur son serment [du chrétien] Luy a prestés [le juif] sans aultre gaige. L'ADVOCAT. Audi partem. Vous dictes raige ! Vous sçavés bien que la partie Du tout en tout si vous le nie. Attendés ung peu. (Mir. st Nic. juif, c.1480-1500, 129). TROMPECTE. (...) Temps est d'acomplir mon messaige, Priant au dieu de Vaudeluque Que sur ce me doinct estre saige. J'ay si tresgrant soif que j'enraige ; Il me fault bouter soubz le nez. (Il boit.) Hen, hen, dea, baa, je diray raige. Maintenant, messieurs, or oyez ! (LA VIGNE, S.M., 1496, 159).

 

Rem. Cf. DI STEF., 746a.

 

-

Dire rage(s). "Dire des insanités" : Et ce pourquoy je leur souhaide, C'est pour ce que c'est chose laide, Quar quant il sont dessus la couche, Tels rages dient de leur bouche Qu'Artus, Godefroy, Charlemainne Qui l'empire ot en son demainne, Hector, Julius, Alixandres, Qui ne furent de gueres mendres, David, Judas Macabeüs, Josué, li bons Troïllus, Gauvains, Tristans, ne Lancelos Ne valurent, bien dire l'os, Que cil ne cuident bien valoir Autant. (MACH., D. Lyon, 1342, 205). Or par mon serment tu dis raige, Hermen ; les mors n'en boivent point. (Myst. st Clément Metz D., p.1439, 541).

 

Rem. Renart contref. R.L., 1328-1342, gloss.

 

3.

Faire rage(s). "Faire qqc. d'extraordinaire" : NERON. (...) Sans l'auctorité des Rommains Tu separes les marïages, Tu fais merveilles, tu fais rages, Tu es tout plain de malefices. Sy fault faire de toy justice ; Raison, les drois, les loys le veulent. (Mart. st Pierre st Paul R., c.1430-1440, 142). Il vint ung Breton estrader Qui faisoit rage d'une lance : Mais il avoit de jeune enfance Les rains rompus (Fr. arch. B., c.1468-1480, 36). S'il y avoit ung eschauffaut, Je feroye rage, par mon serment. (Vig. Trib., c.1480, 224). Or est venu le temps et la saison Qu'il fault monstrer ma terrible fureur, Puisque mes gens ont bien fait la raison Soubdaynement a ceulx de l'empereur. Or, pour frustrer de tous poincts son erreur Et amatir son superbe couraige, Nous yrons tous monstrer nostre valeur En son pays et la, nous ferons raige. (LA VIGNE, S.M., 1496, 234).

 

Rem. Cf. DI STEF., 746a-b.

 

-

En partic. Faire rage/faire la rage. "Faire énormément de bruit, faire du tintamarre" : Cuer, trés faintis et trés volage, A tous mal pensez et toute ordure ; A l'escole tu fais la rage, Si te donray ceste bature. (Coeur sens M., a.1433, 80). Je feray bruict, je feray raige ; Je feray d'un pot une caige D'argent, quand bon me semblera. (Roy sotz, c.1450-1500, 226). Chacun fait du grant gaudisseur, Par le sang bieu, Chacun fait raige. (Sots triumph., c.1475, 39).

 

-

Faire rouge rage. "Faire des choses extraordinaires" : Vous ferez roge rage ensemble ; Rien ne vous seroit estopper ["Rien ne saurait vous arrêter"]. (Pipée R., c.1470-1480, 186).

 

-

Faire rage de + subst. "Faire preuve d'un extraordinaire + subst." : ...comme ung homme affamé, pour deux nuiz qu'il a couché sans moy, il a fait rage de diligence. (C.N.N., c.1456-1467, 204).

 

-

Faire rage à/de : Vieux homs ne puet rajovenir, Jeune cuer fait rage au venir. (TAILLEV., Passe temps D., c.1440, 149).

 

Rem. Livre Regnart S.-H., c.1460, 83.

 

-

Faire rage de + inf. : ...ung hostellier du mont Saint Michiel faisoit raige de ronciner (C.N.N., c.1456-1467, 14). ...avoit ung maistre curé qui faisoit rage de confesser ses parrochiennes. (C.N.N., c.1456-1467, 402). Mains sotz en auront [ ... ] a faire Car c'estoit ung sot autentique Prest a jouer et a tout faire, Tant en lourdoys qu'en rethorique, Car pour ung sens alegoricque Il faisoit rage d'exposer (Vig. Trib., c.1480, 234).

 

Rem. Guill. Orange T.H.G., p.1450, gloss.
 

DMF 2020 - Article revu en 2015 Robert Martin

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