C.N.R.S.
 
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     GÂTER     
FEW XIV vastare
GASTER, verbe
[T-L : gaster ; GD : gaster ; GDC : gaster ; DEAF, G367 gaster ; AND : gaster1 ; DÉCT : gaster ; FEW XIV, 202a,204-205b : vastare ; TLF : IX, 116a : gâter]

A. -

[Idée dominante de destruction, de détérioration]

 

1.

Gaster qqc. "Dévaster, détruire, détériorer qqc."

 

-

[Le compl. désigne une ville, un pays] : ...et si ne Demoura la homme ne fame Qui ne perdist le corps et l'ame, Ne riens qui demourast en vie, Maugré le can de Tartarie A qui Letoe est tributaire. Et encor leur fist tel contraire Qu'il leur gasta plus de païs Qu'il n'a de Bruges a Paris ; Car presens fui a ceste feste, Je le vi des yeus de ma teste. Puis fu il par deus fois en Prusse A moult grant honneur, et en Russe. (MACH., C. ami, 1357, 108). Mes gens foule et gaste ma terre (Mir. Amis, c.1365, 11). Il tiennent veritablement, Tous et toutes communement, Que c'est droite necessité Que par ce viez port la cité D'Alixandre sera gastée, Destruite, prise, arse et bruslée Et desconfite (MACH., P. Alex., p.1369, 62). Mais il ne pot onques savoir, Par homme qui là fust, le voir Qu'il puelent estre devenu, Ne s'il sont mort ou retenu. Si qu'einsi fu Triple gastée, Prise, destruite, arse et brulée. (MACH., P. Alex., p.1369, 210). Quant Triple fu prise et gastée, Li roys fist une grant armée ; Li sires de Lesparre vint, O li gens d'armes plus de vint, Et voloit entrer en galée. (MACH., P. Alex., p.1369, 225). ...ilz treuvent et trouveront le pays tout gasté et esseilliet, et plus yront et mains de pourveances trouveront. (FROISS., Chron. M., XIV, c.1375-1400, 91). ...ilz commenchoient à destruire et gaster les villes et les citez (FROISS., Chron. M., XIV, c.1375-1400, 129). Car partout avoit grant tribulation, et souffroit et avoit moult à souffrir le peuple (...) par la grant multitude de gens d'armes qui, hors feu bouter, gastoient et destruioient les plas païz en pillant (BAYE, I, 1400-1410, 246). Grans batailles ot, et gasta La contree (CHR. PIZ., M.F., IV, 1400-1403, 25). Par quoy nous est monstré que ung seigneur se il veille diligemment a garder son paÿs - garder, dy je, non pas le gaster ! -, Dieu se monstrera a luy et aussy a chascune personne qui veille a garder sa seule brebis qui luy est commise, c'est son ame. (GERS., Noël, p.1404, 297). Et pour ce proposent contre icelle lettre lesdictes bonnes villes et dient que le païz d'Auvergne est et a esté dès long temps moult foulé et gasté tant de tailles que aultrement (BAYE, II, 1411-1417, 12). ...faire departir les gens d'armes qui illec estoient et gastoient lesdiz lieux afin d'eulx traire devers Bar sur Seine pour illec estre receuz à monstre à la resistance des traictes parjus qui nagaires ont murdry mondit seigneur (Comptes Etat bourg. M.F., t.2, 1419, 353). Et, durant ce temps, plusieurs gens de guerre de l'ordonnance du roy deslogerent de leurs garnisons et s'en vindrent, gastant tout le plat pays, loger et eulx mettre en plusieurs villes et places sur les marches de Normandie et Picardie. (ROYE, Chron. scand., I, 1460-1483, 240). En ces entrefaictes, aucuns tenans le party dudit de Bourgongne, comme le conte de Roussy, filz dudit connestable, et autres de leur parti tindrent les champs, ou pays et marche de Bourgongne, et se vinrent espandre et loger en la conté de Tonnerre, où ilz ne trouverent aucune resistence, et en gastant et destruisant pays vindrent jusques à Joigny, qui fut fort secouru par les gens du roy et ne le orent point. (ROYE, Chron. scand., I, 1460-1483, 286). ...predist les horibles innondacions de eaue, qui fut en divers lieux ou mois de mars, au moïen desquelles plusieurs villes furent gastées ès lieux maritins et paludeux, et plusieurs pons sur la riviere de Seine rompuz. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 120 r°). Après que les Bourguignons eurent ainsi couru, brulé et gasté la terre de Coucy et pays d'envyron que dict est, et non obstant le parlement qui estoit entre le connestable et eulx pour traicter d'apointement, tyrerent et allerent vers Guise pour y mettre le siege et l'avoir de force (LE CLERC, Interp. Roye, c.1502, 322).

 

-

À tout gaster. "En employant toutes ses forces" : ...Cligés s'affute contre l'escu de Lancelot en telle force qu'il le perçoie, puis l'eslieve ung petit, et a tout gaster il le poulse par terre (Cligès C.T., 1455, 129).

 

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Part. passé en empl. subst. en appos. : Angleterre est une isle d'Occident Qui premier fut Albion appelée (...) Bretaingne fut après, en descendant, D'un duc Bruthus, de Troye la gastée, Qui la conquist, nommée en succedant (DESCH., Oeuvres Q., t.6, c.1370-1407, 87).

 

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[Le compl. désigne une armée] "Détruire, anéantir, massacrer" : Si en fet si tres grant revel Qu'il pert que tout ait conquesté, De ma gent m'a il molt gasté. (Dame Lycorne G., c.1349-1350, 265). Il fist son amiraut venir, Et li dist : "Fait avons grant mise En l'armée qui est sus mise. Si seroit grant descouvenue S'elle estoit gastée et perdue..." (MACH., P. Alex., p.1369, 120).

 

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[Le compl. désigne une chose concrète] "Détériorer, détruire, abîmer" : De toutes flours n'avoit et de tous fruis En mon vergier fors une seule rose : Gastés estois li surplus et destruis Par Fortune qui durement s'opose Contre ceste douce flour Pour amatir sa coulour et s'odour. Mais se cueillir la voy ou tresbuchier, Autre après li ja mais avoir ne quier. (MACH., Bal., 1377, 556). ...le curé de ladite ville, qui venoit, lui et un sien petit clerc, de Paris, de achater de la char, et avoit du sel et du pain, tout ce que dit est envelopé en une touaille, veant et ouant la cruauté que faisoient iceulx gens, comme tous esbayz, leur encommença à dire que c'estoit et qui ilz estoient qui ainsi gastoient le monstier et l'eglise de Dieu (Reg. crim. Chât., II, 1389-1392, 223). ...le sacrilege fait en icellui [moutier], en despeçant, gastant et dissipant les biens et cierges ordenez à faire le service divin en ladite eglise (Reg. crim. Chât., II, 1389-1392, 246). ...la VIIJe [plaie] d'une maniere de vers volans que on appelle langoustes qui gasterent tous les foins de terre (CHR. PIZ., Paix W., 1412-1413, 126). Fabius Maximus, conssulle des Rommains, vault assiegier Capua. Mais premierement il gasta les biens des champs des labours tout entour la cité ; par quoy sembla qu'il ne la vaulsist pas assiegier. (LA SALE, Salade, c.1442-1444, 59). ...li citeit et pluseurs de nos bonnes vielhes aient acoustumeit novellement del traire aux champs en armes, prendre et vasteir les biens de nos sourseans ou des marchissans et saisir leurs courps, ardre et abattre leur mainsons, sens avoir recours ne resiiet à nos ledit evesque (STAVELOT, Chron. B., a.1447, 53). Et a ce propos dit saint Augustin, en une de ses Epistres, que tout ainsin comme le mauvais vin gaste et corrompt le vaissel ou il est, se il y demeure longuement, tout ainsin yre gaste et corrompt les cuers ou elle se tient. (LA SALE, J.S., 1456, 19). ...et y ot de grans tempestes en divers lieux (...) et par especial ou pays de Soissonnois, où elle gasta les blez, les vins et autres fruiz et destruisy plusieurs belles maisons, manoirs, couvertures d'eglises et autres maulx. (ROYE, Chron. scand., I, 1460-1483, 163). Et, à la verité, ilz n'avoient leans, pour toute provision, que deux tonneaulx de pain musi et gasté et ung petit salloir de chair sallée, et de vin cinq ou six tonneaulx. (LA MARCHE, Mém., II, c.1470, 46). Il y avoit en cestuy desert ung lyon, lequel destruisoit et gastoit toute la terre et la semence que cestuy laboureur chescun jour semoyt et aussi les arbres qu'il plantoit. (MACHO, Esope R., c.1480, 185).

 

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En partic. [Le compl. désigne un vêtement] "Abîmer, détériorer" : ...ses habillemens furent tous gatez et percez. (C.N.N., c.1456-1467, 259). LE SERGENT. (...) Tu auras deux blans et choppine. Mais je te pry, par amour fine, Que tu ne les me gaste point [les souliers]. LE SAVETIER. Je les mectray en si bon point, Qu'on n'y trouvera que redire. (Sav. serg. D.L., c.1480-1490, 30). AFFRICQUEE. M'en donrez vous ung autre [un autre chaperon], De par Dieu ou de par le dyable, Ce il est gasté ? (P. Jouh. D.R., a.1488, 21). Les unes [des robes des Anglais] estoient longues, les aultres courtes, les aultres fourreez de martres, de renards et de plusieurs aultres fourrures qui c'estoient retraictes pour l'amour de l'eaue, et le lendemain eussiez veu le drap que floctoit sur lesdictes forrures qui estoient gastees et retraictes. (Jehan de Paris W., 1494-1495, 39). Je m'esbahis terriblement Comme cueur avez si volaige D'avoir gasté si meschamment Ce manteau ; n'esse grant dommaige ? (LA VIGNE, S.M., 1496, 199). Par mon ame, on deust mener paistre Ses muletons, muleurs, muliers Qui, pour ne gaster leurs souliers, Mectent grand peine, pour se jour Se rompre le col nuict et jour, A faire la tournebouelle. (Mère Ofic. T., c.1500, 107).

 

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Part. passé en empl. adj. "Gâché, endommagé" : Et que pour ce que icellui hostel il trouva ouvert et n'avoit aucune personne dedens qui gardast les biens estans en icellui et afin qu'ilz ne feussent aucunement gastez ou perduz, print le lit d'icelle Gilete avec une paire de draps et une sarge vermaille et iceulx porta en garde en l'hostel d'icelle Modete (Reg. crim. Chât., II, 1389-1392, 414).

 

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[Le compl. désigne une chose abstraite] "Compromettre, mettre à mal (une entreprise)" : Mais je n'ay pas la raison dit Pour quoy li roys a escondit Pluseurs de sa chevalerie D'aler vers la gent renoye. De ses gens a toudis à faire ; Et s'il les tenoient au Quaire, Il sont si plain de desraison, De fausseté, de traison, Qu'il seroient trop mal venus Se d'eaus estoient retenus ; Et s'en porroit estre son fait Gastez de tous poins et deffait, Ou on les porroit tous tuer Et en la riviere ruer, Dont li nobles roys derveroit De dueil, qui einsi le feroit. (MACH., P. Alex., p.1369, 179). Nous menons femmes en nostre compaingnie et avons mené qui ne demandent que le sejour, et pour ung jour qu'elles cheminent, elles en vueillent reposer XV. Ce nous gaste et gastera, car si tost que nous fusmes arrivé à La Caloingne, se nous eussions avant chevaulchiet sus le pays, tousjours devant nous, nous euissions bien exploittié (FROISS., Chron. M., XIV, c.1375-1400, 85). Messeigneurs, cessez ce langaige. Se par tel point nous comportons, Nostre fait rompons et gastons. (GRÉBAN, Pass. J., c.1450, 398). Meisseigneurs, cessez ce langaige. Se par tel point nous comportons, Nostre fait rompons et gastons. (Myst. Pass. Troyes B., a.1482, 843). Et à celle heure dist ledit seigneur du Lau audit de Lenghac qu'il avoit tout gasté d'avoir tant demouré (LE CLERC, Interp. Roye, c.1502, 191).

 

2.

Gaster qqn. "Mettre à mal (une pers. ou ses facultés) ; corrompre, compromettre, perdre"

 

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[Le résultat est d'ordre physique] "Blesser, abîmer, détruire" : ...mais auxi bien ai ge perdu mes clefz des a matin. Voiez la chamberiere qui les quiert en celle place, car je ne scey que j'en ay fait, pour ce que j'ay tant a faire que je ne scey auquel entendre et en ay la teste toute gastee (Quinze joies mar. R., c.1390-1410, 53). Personne qui a les yeulx esraillés, gastés et estanduz segnefie malice, vengence ou traïson. (Comp. kal. bergiers, 1493. In : Chrestom. R., 266). ...[la médecine] effacera la grand doleur et le martire qui debrise et gaste la pouvre patiente. (C.N.N., c.1456-1467, 34). ...la pouldre, qui corrosive estoit, luy gasta et mengea l'oeil (C.N.N., c.1456-1467, 35). Et de la pouldre et vent de ladicte bombarde y en eut quinze ou seize autres personnes, qui tous en eurent plusieurs de leurs membres gastez et brulez, et en mourut plusieurs depuis (ROYE, Chron. scand., II, 1460-1483, 82). Et au resveil, quant le ventre lui bruyt [à la Grosse Margot], Monte sur moy, que ne gaste son fruyt, Soubz elle geins, plus q'un aiz me fait plat ; De paillarder tout elle me destruyt, En ce bordeau ou tenons nostre estat. (VILLON, Test. R.H., 1461-1462, 125). Nous sommes perdus, Luccifer, Car ce Jhesus, qui a pris mort, Est homme Dieu. Las, quel remort ! Il vient seans pour nous guaster tous. (Pass. Auv., 1477, 226).

 

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[P. réf. à Job XXXVI, 11-12] "Faire disparaître, perdre qqn" : Se les roys avront oÿ et gardé la voiz de nostre Seigneur, il acompliront leurs jours en bien et leurs ans en gloire. Et, se il ne l'avront oïe, il passeront par le glaive et seront gastéz en folie. (FOUL., Policrat. B., V, 1372, 320).

 

-

Gaster (son visage). "Défigurer" : Et a ce propos racompte Valere en son .IIIIe. livre, comment jadis fu un tres bel enfant nommé Spurrim, lequel pour sa biauté estoit des femmes moult desirié en peché ; mais quant il l'apperçupt il gasta son visage en disant qu'il avoit plus chier estre lait que par sa biauté estre cause a autri de pechier. (LEGRAND, Bonnes meurs B., 1410, 326).

 

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Part. passé "Abîmé, vieilli" : Mais il avient, ainxin come Fortune le vieult, que le bon homme noble son mary s'en vient, qui est moult enveilly et gasté, car il n'a pas esté a son aise deux ou trois ou quatre ans qu'il a esté prisonner. (Quinze joies mar. R., c.1390-1410, 96).

 

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Empl. pronom. : Mais la femme ne se gaste pas si toust come l'omme, de quelque estat qu'il soit, c'est pour ce qu'elle ne prent pas les paines, les travailz, les soussyz qu'il prent, et s'il ne fasoit ores sinon soulacer et jouer, si seroit l'omme plus toust gasté quant ad ce. (Quinze joies mar. R., c.1390-1410, 57).

 

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"Souiller" : Il est tant gasté De cracher amont et aval Que le cueur me fait tres mal De le regarder en la face. (GRÉBAN, Pass. J., c.1450, 279).

 

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En partic. [Le compl. désigne une femme ou une jeune fille] "Violer" : Et pluseurs femmes et pucelles, Honnestes aleure et moult belles, Violées honteusement Et gastées communelment, Et maint homme, pour bon tenu, Trez mauvais larron devenu Par redoubtable despérance, Ou peut-estre pour indigence (LA HAYE, P. peste, 1426, 169).

 

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[Le résultat est d'ordre économique] : ...et disoient les routiers que la guerre les avoit gasté et apovris (FROISS., Chron. M., XIV, c.1375-1400, 128).

 

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[Le résultat est d'ordre moral] : Nous gastons tantost nos enfans par delices. Car la doulche ou souefve ou molle nourriture que nous aministrons aux enfans leur rompt tous les nerfs de pensee et de corp (DAUDIN, De la erudition H., c.1360-1380, 164). Pour Dieu mercy, ne me gastez, C'est que vous ne m'encusez pas ; Donnez m'avant congié bon pas De m'en raler. (Mir. fille roy, c.1379, 93). Mais je ne veul pas que ta maulvaistié gaste ma bonté, mais avray mercy de toy (Chev. papegau H., c.1400-1500, 10). Si devroient les princes considerer comment sote amour de femme gasta la force de Sampson, le sens de Salemon, la bonté de David. (LEGRAND, Bonnes meurs B., 1410, 358). ...ladicte Guillemete le gastoit et mectoit en mauvaise voie et en estoit come tout afolé contre le gré et voulenté de sondit pere, icelui son pere le mist hors de sa mancion et le emancipa d'avec lui. (Chancell. Henri VI, L., t.2, 1434, 288). ...si d'adventure mon maistre ou ma maistresse venoient icy (...) et vous trouvassent, je seroie perdue et gastée (C.N.N., c.1456-1467, 122). Or sommes nous par eulx gastez et deshonorez. (C.N.N., c.1456-1467, 221). LA FEMME. Mon amy, vous nous gasterés. Je vous prye, quant vous tousirés, Afin qu'on ne vous oye en efaict, Metés la teste dans le retraict. L'AMOUREULX. Voycy des mos fort rigoureulx. (Retraict T., c.1490, 232). Comme dit est, en l'an dessus nommé, Le noble roy, du cas bien adverty, Voyant qu'Alphons en ce point surnommé Estoit tres mal par tous lieux renommé Et tant avoit le peuple diverty, Gasté, seduyt, destruyt, aneanty, Que la contree de Napples bien aymee Voulut ravoir par belle main armee. (LA VIGNE, V.N., p.1495, 131).

 

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Empl. pronom. au fig. "Se perdre" : BURGIBUS. Martin, mon amy, tu te gaste, Tu te dampne l'ame et le corps, Tu te destruys d'estre si chaste Et d'estre tant misericors. Pas ne sont petis les discors Qu'envers Dieu tu en as commys (LA VIGNE, S.M., 1496, 484).

 

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Empl. intrans. "Aller à néant, être perdu" : Se el n'a secours, je croy en verité, Qu'el se occira par grand crudelité De aucun glaive, ou qu'el se jettera Des fenestres embas. Se humanité Ne la secourt, bien brief, tout gastera. (SAINT-GELAIS, Eurial. Lucr. R., c.1490, 112).

 

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[Dans un tour plus ou moins stéréotypé] (Tout) me gaste. "Je me trouve mis à mal, meurtri" : Fortune m'est dure, amere et diverse, Qui ma cherrette einsi trebuche et verse. Pour ce m'en vois demourer en l'Empire, A cuer dolent qui tendrement souspire, Qu'en ce païs trop me gaste et essil. (MACH., Compl., 1340-1377, 252). Et aler m'estuet en servage Et laissier mon droit heritage. En servage ? Mais en essil, Dont tous me gaste [var. gate] et tous m'essil. Si m'ara tost mis en oubli La tres bele qu'onques n'oubli. En oubli ! Dieus ! li souvient il Que je l'aim plus qu'autre cent mil ? - Je croy qu'oïl ! - Certes, non fait. (MACH., F. am., c.1361, 195). Las ! dolens, li souvient il, Comment le regart soustil De son viaire gentil M'a mis et tient en essil, Dont tous me gaste et essil ? (MACH., Les lays, 1377, 319).

 

3.

Gaster (un animal). "Fatiguer ; blesser grièvement, estropier" : La rayson si est quar, si on laissoit courre touz ses chienz et par aventure ilz acuilloyent ou un cerf ou une biche, ilz seroyent gastez et las pour chascier longuement aprés (GAST. PHÉBUS, Livre chasse T., 1387-1389, 255). À Robert Nandin, bourgeois de Troyes, la somme de quarante frans, pour don à lui fait par mondit seigneur, pour consideracion des bons et agreables services qu'il lui a fais en plusieurs et maintes manieres et en recompensacion d'un sien cheval qu'il [a] nagaires afolé et gasté en sa compaignie et service (Comptes Etat bourg. M.F., t.2, 1419, 428). ...ne huy ne couru lance en vain et ne perdy estrier. Et tesmongnent les dames que au jour d'huy ont esté quatorse chevaulx desoubz lui que mors que gastez. (Percef. III, R., t.2, c.1450 [c.1340], 337).

B. -

P. ext. [Idée dominante de gaspillage, de dilapidation, de perte]

 

1.

[Le compl. désigne un bien matériel ou spirituel]

 

a)

"Gaspiller, dilapider, user avec prodigalité" : Mais quant li homs est mis en terre, Avec li pas ne les emporte [ses richesses], Qu'autres les a qui s'en deporte Et les despent, espoir, et gaste Et fait grant tourtel d'autrui paste. (MACH., C. ami, 1357, 70). Ainsi veons nous que l'avaricieus se delite en garder et assembler richesces excessivement et le fol large en les gaster a superfluité. (ORESME, E.A.C., c.1370, 127). Et si voy bien que j'ay gasté Le mien par prodigalité Et par trop folement despendre. (Mir. march. juif, c.1377, 194). ...car la Dieu mercy, j'ay des bien assez, plus que n'en pourray en tout mon vivant gaster a tenir l'ordre que je tiens et l'estat que je maine. (Jehan de Paris W., 1494-1495, 38).

 

-

"Perdre, gâcher" : Mes paraboules ont semblance D'un homme semenant. Sa semence, Tumbent sur le chemin, est gatee, Car des bestes tost est mangee. [Réf. à la parabole du semeur (Luc 8, 5)] (Pass. Auv., 1477, 137).

 

-

[Sans idée péj.] "Consommer" : Car selon le proverbe ancien, nulz ne pueent savoir se ilz sont amis ensemble jusques a tant que ilz aient consummé ou gasté et despendu ensemble une mesure de sel. (ORESME, E.A., c.1370, 420). Au second livre ou papier escripra la despense du bois et charbon que l'en gastera par chacun an ès dictes mines, dont il fera plusieurs chappistres. (Aff. Jacques Coeur M., 1453-1457, 350).

 

b)

[Le compl. désigne le temps, le travail, l'effort...] "Gaspiller, user en vain" : Si leur a dit que il avoit tant demouré pour ce car on l'avoit esleu pour juge et arbitre a reconcilier un filz avecquez son pere et que il avoit en cela gasté trestout le jour, mez que le jour emprés il feroit ce que il avoit ordené. (BERS., I, 1, c.1354-1359, 50.8, 84). ...Je lui dis : "Trop fort merveil, Dame, quant tel conseil donné M'avez, puis qu'en moy volenté N'a du faire, ce savez bien ; S'est votre compte en moy gasté, Car pour vous n'en feroie rien." (Cent ball. R., c.1388-1396, 187). ...Et des biens trop grant dégasteur, Dont en terre riens ne demeure Qu'il ne gaste tout et deveure, Bestes, herbes, tous grains et fruiz, Com Nature les a produiz, Pour déliter et pour nourrir Son truant corps, qu'il fault pourrir (LA HAYE, P. peste, 1426, 36). ...et gasterent nos compagnons assés de bon trait, sans porter dommage à leurs anemis se pou non. (BÉTHENCOURT, Canarien C., c.1490, 225). Luciffer, tout va mal a poinct, Tout est perdu, tout est gasté ; Ce paillart, pour mon contrepoinct, N'a peu de moy estre macté. (LA VIGNE, S.M., 1496, 486).

 

-

En partic.

 

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Gaster son langage / son parler / sa parole : Je vous pri, pour Dieu, seigneurs doulx, Que pensez de vous en raler, Car vous gastez vostre parler: Je vous dy bien. (Mir. st Guill., c.1347, 42). Si ne m'en tenez plus de plait, Car vostre deshonneur feriez Et vos paroles gasteriez, Je vous promet. (Mir. Theod., 1357, 71). Femme, c'est parole gastée : Car ja soit ce que crestien Puist femme avoir, je te dy bien, Ceulx en sont hors pour verité Qui de garder virginité Ont fait les veuz. (Mir. Barl. Josaph., c.1363, 292). Souffrez : je ne vous en vueil point ; En vain gastez vostre langage. (Mir. Clov., c.1381, 261). Bien voit qu'en vain son parler gaste (CHR. PIZ., M.F., III, 1400-1403, 62).

 

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Gaster ses pas : J'ay gasté mes pas, Ce m'est avis. (Mir. st J. Paulu, c.1372, 111). Syquar, par foy, j'ay grant anuy Que ne faisons que gaster pas. (Mir. Pierre Changeur, c.1378, 294). Musehault, certes, il me semble Que noz pas gastons et perdons. (Mir. st Alexis, 1382, 328). Certes, gasté avons de pas Moult grant quantité, ce scet Diex, Et l'avons a jounes et viex Demandé, mais c'est pour nient, sire (Mir. st Alexis, 1382, 336).

 

.

Gaster sa peine : ...et tant jouerent que le bourgois qui se faignoit fu mat, ne sçay .II. foiz ou .III., par quoy Berinus lui dist: "Si m'aïst Dieux, biaux hostez, je vueil bien que la maistrise de ce jeu en soit a moy, car petit en avez apris, si ne vueil plus a vous jouer, car vous y gasteriez vostre paine". (Bérinus, I, c.1350-1370, 43). Et je voy que n'ay pouoir de vivre, pour quoy je ne le vous pourroie merir, si seroit paine gastée. (Bérinus, II, c.1350-1370, 10).

 

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Gaster son temps : Or pren ci un bel reconfort Par un point samblable aussi fort, Que cils son tans ne gaste mie Qui par autrui fait se chastie. (MACH., D. Aler., a.1349, 388). Regarde comment tu as le temps gasté en moult de vilz pechiez et de mauvaiz. (Ménagier Paris B.F., c.1392-1394, 40). Sans temps gaster, parler bien rondement, Non de laydure, De foles femmes, d'yvrougnerie, d'ordure, De louer vices : c'est chose griefve et dure Blasmer vertu. (MESCHIN., Lun. princes M.-G., c.1461-1465, 87). E ! mére Dieu, com me deplaist Le temps que j'ay si mal gasté ! (Mir. Oton, c.1370, 375). Et semblablement est il de telz autres quelzconques delectacions qui ne sont pas corporeles, si comme ceulz qui aimment fables et se delictent en racontemenz et en narracions de choses inutiles et en telz choses usent leurs jours et gastent leur temps. (ORESME, E.A., c.1370, 220). Quant vit que riens ne conquestoit, Et qu'en vain son temps y gastoit, Et comment pour riens nel feisse, Adont me dist que requeisse Tel don comme avoir je vouldroie De lui, et que ja n'y fauldroie. (CHR. PIZ., Chem. estude P., 1402-1403, 24).

 

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Gaster le temps de qqn : Voy comment la nuit et le jour te gastent le temps, et garde comment tu as ton temps oublié, dont il couviendra que de chascune heure tu rende compte d'ores a ja. (Ménagier Paris B.F., c.1392-1394, 40).

 

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Empl. pronom. à sens passif. Le temps se gaste : Haston nous, car le temps nous haste ; Fol s'oublie et le temps se gaste ; Pourtant se fault diligenter. (Myst. st Laur. S.W., 1499, 139).

 

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Empl. pronom. [D'une pers.] "Se perdre, se dissiper" : Ha, compaignons, nous nous gastons ; Rifflons sans aller caquetant. (GRÉBAN, Pass. J., c.1450, 279).

 

c)

[D'une langue] "Corrompre, déformer" : Car nul ne doit tant de latin Gaster pour bailler ung tatin Du sens qui luy vient de la teste. (Barbes brayes A., a.1450, 252). Et quant vous arés en ce point Mon present sermon bien tasté, Ja n'y verrés latin gasté, Et se raison y est perdue Au moins y est rime entendue. (Barbes brayes A., a.1450, 253).

 

2.

[Le compl. désigne une substance, une matière] "Disperser, dissiper" : Car qui vertuz en lui assemble Sanz humilité, il ressamble A celui qui la pouldre amasse Au vent, et le vent la detasse Et la gaste (Mir. st Ign., 1366, 92). Mais celle moisteur ou humidité est gastee et consumee par l'excés de la chaleur. (ORESME, C.M., c.1377, 442). Pareillement l'Umidité Et la Sécheur en vérité Se combatent mutuement Et en oultre, certainement, Force de chaleur, jour et nuit, Gaste l'umeur et la destruit, Et l'umeur quiert souvent, sans faindre, La chaleur gaster et extaindre (LA HAYE, P. peste, 1426, 65). ...Car excédent charnalité Consume et gaste humidité Et la chaleur de corps humain, Et le rent failli, lent et vain, Et abrége souvent la vie, Mesmes en temps d'épidémie. (LA HAYE, P. peste, 1426, 107).

 

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Empl. pronom. "Se dissiper, s'évaporer" : Et moult d'autres [poissons] espéciaulx, Qui mieulx valent communelment Rostiz en four, ou autrement, Que cuiz en eaue, gresse ou paste, Car leur moisteur trop mieulx se gaste, Maiz le mengier mains y prouffite Sans la saulse paravant dicte. (LA HAYE, P. peste, 1426, 93).

 

3.

Estre gasté de qqc. "Être privé de qqc." : Ceulx qui croissent ont plus grant chaleur naturelle, dont [ilz ont mestier] de plus grant nourrissement ; car autrement, le corps soit gasté (SAINT-GILLE, A.Y., 1362-1365, 56).
 

DMF 2020 - Article revu en 2015 Hiltrud Gerner

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